La "Minerve"
fait partie de la génération d'après-guerre des sous-marins. Entre
le U-Boote de la Kriegsmarine et le sous-marin, actuel, il existe
la même différence qu'entre une locomotive à vapeur et une locomotive
électrique. Cette différence peut être ex-primée par deux chiffres.
Le U-Boote de 1939-45 qui représentait le "nec plus ultra"
en matière de navigation sous-marine se déplaçait à 15-20 nœuds en
surface et se traînait à 8 nœuds en immersion. En 1964, les sous-marins
vont plus vite en plongée qu'en surface et le "Narval" qui atteint
16 nœuds en surface,-glisse entre deux eaux à la vitesse de 19 noeuds
(1 nœud égal "1 mille marin-heure", soit 1.852 mètres-heure).
Avec la Minerve la flotte sous-marine française moderne comprend 8
autres sous-marins à hautes performances du type "Daphné" de
850 tonnes, quatre chasseurs de sous-marins type "Arethuse" (400 tonnes)
et six sous-marins de types "océaniques" de type "Narval"
(1.200 tonnes). Cette flotte s'enrichira bientôt du sous-marin d'essai
"Gymnote" dont le lancement est prévu le 15 mars,
du premier sous-marin atomique "Q 252" et de quatre autres
navires de cette catégorie. Ces sous-marins n'ont plus rien de commun
aveu l'image des submersibles popularisés par les films de
guerre.
Une seule torpille à la fois
Le pont de la
"Minerve" ne comporte qu'une sorte de kiosque de forme oblongue, de
4 mètres 50 de haut protégeant les périscopes de veille et d'attaque,
les antennes radios et radar, la prise d'air du schnorchel et l'orifice
d'échappement du moteur. Le canon, les mitrailleuses antiaériennes.
la scie antifilet, tout cela a disparu. En quelques chiffres, la "
Minerve " c'est aussi 850 tonnes en surface, 1.040 en immersion, 16
nœuds en surface, une vitesse égale en plongée, 12 tubes lance-torpilles
(8 à l'avant et 4 à l'arrière), un équipage de 49 hommes, des diésels,
des moteurs électriques, des accumulateurs : un ensemble redoutable
et presque parfaitement silencieux. Lorsque j'embarque à bord de la
"Minerve" au petit jour, elle est tapie comme une bête
de proie, près de son sister ship la "Doris", sous le pâle
éclat de quelques lampes à incandescence, dans le port militaire de
Toulon. Un vent aigrelet souffle du large. Sur le pont de la "Minerve"
un matelot, seul, pistolet au côté monte une garde, ponctuée par le
bruit métallique de ses pas sur le pont d'acier. Mais voici que tout
s'anime, avec le retour des deux tiers de l'équipage qui ne couchaient
pas à bord. L'appareillage est prévu pour 6 h 30. Avant l'arrivée
du commandant, le dernier, à embarquer, le second fait effectuer un
essai d'étanchéité. Tous les orifices du bâtiment sont soigneusement
clos et la pression à l'intérieur est abaissée de 200 millibars, soit
d'un quart de la pression atmosphérique normale, puis rétablie après
une série de contrôles. Une à une, les réponses fusent dans le central-opération.
"Etanche panneau de visite avant... Etanche logement..." Encore
une vingtaine de minutes avant le départ, juste le temps de parcourir
la "Minerve" de l'avant à l'arrière. Derrière l'étrave en bulbe qui
contient le sonar, se trouvent les 8 tubes lance-torpilles avant qui
ont la particularité de ne pas se recharger en mer. "Ce type
de sous-marin", me dit l'officier torpilleur, "n'emporte
que douze torpilles : une par tube. Pendant la guerre, les submersibles
emportaient beaucoup plus de torpilles et les lançaient par gerbe
pour être sûrs d'atteindre leur but. Aujourd'hui, avec les méthodes
de lancement moderne, nous envoyons une seule torpille à la fois.
Sinon avec les torpilles acoustiques que nous employons et qui se
dirigent sur le bruit des hélices de la cible, nos torpilles attirées
l'une par l'autre se suivraient dans la même trajectoire". Derrière
les torpilles se trouve la chambre des tubes où logent les 30 hommes
de l'équipage. Elle est meublée de 19 couchettes. 2 pour trois hommes,
d'une douche et d'un réfrigérateur pour les boissons.
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Ma première
plongée
- Aux postes de
manœuvres " : l'ordre vient de retentir à l'interphone. Sur le pont.à
l'avant à l'arrière, l'équipage se prépare à larguer les
amarres. A 4 m 50 du sol sur une petite plateforme de deux mètres sur
un, le commandant la " Minerve ". un officier 30 ans s'est casé tant
bien que mal au côtés du second, de l'officier de manœuvre, du timonier
et d'un téléphoniste Une ultime vérification:
-Paré la barre ?
-Paré les moteurs ?
-Paré plage avant ? plage arrière ?
-Balancez les lignes d'arbres Balancez les périscopes.
Lentement les périscopes sortent de leurs logements et s'élèvent dans
ciel encore noir.
-Chassez une seconde au 1; au 2; au 3
Des cinq ballasts du sous-marin tour à tour sort un mugissement d'air
comprimé.
-Paré
à appareiller.
Lentement la "Minerve" quitte son appontement et pique sur le milieu
de la rade. Les ordres se succèdent à cadence très rapide.
-Moteurs avant 4.
" Un dernier commandement et le sous-marin pique vers la haute mer agitée
seulement par un léger clapot. Un hurlement rauque marque la fin de
cette croisière au soleil hivernal.
-Alerte.
Par le puits obscur, suitant de graisse, je précède l'officier de quart
à l'intérieur du submersible. Les deux écoutilles qui mènent sur la
baignoire sont fermées. Les purges sont ouvertes. Un ordre :
- 12 mètres.
L'eau envahit les ballasts tandis que la "Minerve", lentement,
en quatre minutes exactement s'enfonce sous les flots. Deux hommes,
les mains sur les commandes des barres de plongée, veillent à ce que
le bâtiment reste horizontal.
-3... 7... 10... 12 mètres
Le sous-marin continue sa route en pilotage automatique avec ses moteurs
Diesel. Ceux-ci puisent l'air à l'extérieur par le schnorchel. Le schnorchel,
c'est un énorme tuyau qui aspire l'air à l'extérieur lorsque le sous-marin
est en plongée périscopique, c'est-à-dire pour la "Minerve" à 12
mètres. Chaque fois qu'une vague le submerge, un clapet l'obture automatiquement.
-On éprouve alors une sensation, des plus désagréables, celle
de manquer d'air, car les moteur Diesel aspirent aussitôt l'air qui
leur est nécessaire à l'Intérieur du sous marin. Les hommes doivent
alors se contenter de la maigre atmosphère qui leur est laissée, Heureusement,
le commandant a interrompu mes tristes réflexions sur les inconvénients
du schnorchel en m'invitant à prendre le petit déjeuner.
Pas de mal de mer
Aucun roulis, aucun tangage. A 12 mètres la "Minerve" glisse dans l'eau
comme un énorme poisson. Nous sommes en plongée et je ne m'en rends
même pas compte. "Ici nous n'avons jamais le mal de mer. Du moins
tant que nous sommes en plongée et je préfère de loin passer une nuit
en dormant à 200 mètres de profondeur plutôt que d'endurer les mouvements
de la mer en surface", me confie le second. " De toute façon, me
précise-t-il, à cette profondeur de 12 mètres nous avons encore le périscope"
Des périscopes, il y en a deux : celui d'attaque, qui a la particularité
d'être fixe. L'observateur assis sur un siège ne bouge pas mais fait
tourner électriquement la partie de l'appareil qui émerge du navire.
Et puis, il y a le périscope de veille, beaucoup plus grand et équipé
d'une antenne de radar miniature, que l'officier de quart fait pivoter
pour effectuer un tour de l'horizon.
-Bruiteur dans le 280
la voix de l'homme de veille sonar vient d'annoncer un écho.
- Bruiteur se rapprochant dans le 280 à 9.000 mètres
Lentement je 'tourne avec le périscope et j'aperçois, s'approchant de
nous, un splendide pétrolier dont l'équipage ne se doute certainement
pas qu'il est épié.
- But à 8.000 mêtres dans le 280.
Le commandant s'est déjà installé au périscope d'attaque, comme si ce
nétait pas une cible fictive que nous avions devant nous. Peu à
peu la distance diminue.
- 4300 mètres... 3.000 mètres...
à 1.500 mètres, le commandant l'œil toujours rivé à son périscope,
laisse tomber le mot qui scelle le destin de la cible :
- Feu
Ici le
dialogue s'arrête. Plus de calcul de trajectoire et de vitesse comme
pendant la seconde guerre mondiale. En combat réel, les éléments de
vitesse, de direction et de distance de la cible sont transmis à un
calculateur électronique qui les inscrit dans le système de pointage
de la torpille. Celle-ci, à têie acoustique - elle coûte entre
100.000 et 250.000 F- se dirige droit sur l'hélice de la cible.
Un cinéma pour
15 spectateurs
Théoriquement notre pétrolier vient de sauter et des centaines de milliers
de litres d'essence ou de pétrole brûlent sur la mer lors que le commandant
m'invite à v enir déjeuner. "Nous sommes arrivés dans notre
zone d'exercice" déclarent pendant le déjeuner, les spécialistes,
l'officier détecteur et l'officier transmetteur. A partir de maintenant,
nous allons naviguer bien sagement entre 12 et 30 mètres pour servir
de cible aux appareils de détection de notre sister-ship le "Doris".
Pendant que l'équipe de marins de quart reste à l'écoute de la "Doris"
je suis convié à une séance de cinéma dans la chambre des torpilles
avant. C'est ainsi que j'ai pu assister à la projection de "La loi des
rues" et du "Puits aux/trois vérités" à 30 mètres de fond. Il y
avait là 15 spectateurs. Pour rétablir l'équilibre du sous-marin on
avait fait passer 300 litres d'eau de mer de la caisse d'assiette avant
à celle de l'arrière. Tandis que j'assistais à cette séance de cinéma
insolite, la séance de chassé-croisé entre la "Minerve" et la
"Doris" était menée tambour battant sous les ordres des officiers détecteur
et transmetteur. " Ici", me disent-ils, "nous sommes au centre
d'une monstrueuse oreille ; dès que nous avons dépassé l'immersion de
12 mètres, elle remplace les périscopes et le radar " Pour vous citer
un chiffre : avec notre sonar nous pouvons repérer le "France" lorsqu'il
navigue à pleine vitesse, c'est-à-dire à 35 nœuds, à une distance de
60.000 mètres.
A 300 mètres
de profondeur
30 m de profondeur,
ce n'est pas suffisant pour échapper aux grenades. En temps de guerre
la "Minerve" doit pouvoir descendre beaucoup plus bas. Silence et profondeur,
voilà ses deux atouts.
- Alerte ... Plongée à trois cents mètres.
Pendant la guerre, les submersibles ne plongeaient qu'à 150 mètres.
Maitenant "La Minerve" descend sous un angle de 30 degrés
vers les abîmes des 300 mètres. L'aiguille du manomètre des profondeurs
se déplace : 50... 60... 100... 170... 200... 260 mètres. A 280 m le
sous-marin comme un dirigeable s'approchant du sol, est redressé
par l'homme de barre. Il décrit sous l'eau une ample ressource et se
stabilise. Nous sommes à 300 mètres. On vérifie une fois de plus l'étanchéité.
Une étincelle
et ce serait la catastrophe
A cette profondeur,
me dit le commandant, la moindre fuite et le bateau se remplirait à
la cadence de 100 litres à la seconde. L'eau y jaillerait à 280 km heure
par une ouverture de la grosseur du petit doigt et au bout de 3 à 4
minutes nous serions perdus. Sept à huit tonnes d'eau suffisent
à couler le bâtiment. A 300 mètres l'eau exerce une pression de 30 kg
par cm 2 et un bras s'offrant à un jet jaillissant de la coque serait
coupé net comme par une scie circulaire.
Dans les différents compartiments sous la pression de l'eau qui fait
rétrécir la coque il est maintenant impossple d'ouvrir les tiroirs ou
les portes des placards. La coque épaisse de la "Minerve"
s'est renfermé comme un étau sur les boiseries. Nous allons
rester ainsi à 300 mètres pendant quelques heures dans
le calme total des grandes profondeurs, navigant à 15 noeuds.
Au diner, les officiers de la "Minerve" m'ont offert le champagene
pour fêter mon entrée dans le club des moins 300 .
- Nous avons 1,5 p. 100 de gaz carbonique.
La voix du matelot a résonné calmement dans le carré des officiers.
Le commandant a simplement répondu :
- C'est très bien.
La proportion de gaz carbonique peut monter sans danger jusqu'à 3 p.
100, m'a expliqué l'officier mécanicien. Ce que nous surveillons avec
attention, c'est la teneur en hydrogène. Elle augmente beaucoup en fin
de charge des batteries. Quand elles ont emmagasiné le maximum d'électricité,
elles dégagent de l'hydrogène. 5 p. 100 de ce gaz, dans l'air, une étincelle,
une flamme et le sous-marin fait explosion. C'est un peu pour cela qu'il
est interdit de fumer à bord bien que le clou d'une chaussure suffise
à provoquer une catastrophe.
Tandis que la "Minerve" fait surface, je vais m'étendre sur une
couchette et ne me réveille qu'à l'aube. Le temps d'aller fumer une
cigarette et d'observer des dauphins nageant à nos côtés, et la "Minerve"
a de nouveau plongé pour une nouvelle journée entre 12 et 30 m. de profondeur,
où elle servira encore de cible fictive à la "Doris". Quelques
heures plus tard, la tempête se déchaînait au large de Toulon et pour
regagner le port vers 22 heures nous affrontions un vent de force 5
qui faisait rouler la "Minerve" en immersion périscopique
à 12 mètres. Le roulis augmentait encore, lorsque le commandant fit
faire surface pour regagner le port. Le sous-marin accosta sans autres
incidents.
En fait, la partie la plus périlleuse de ce voyage se déroula lorsque
je dus quitter le pont de la "Minerve" enfin immobile, pour gagner,
par une planche étroite, branlante et grasse, le quai d'amarrage.
Les voyages sous la mer seraient-ils plus dangereux... quand on revient
au port ?
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