La disparition
du sous-marin "MINERVE" connue dans la nuit du samedi 27 au dimanche
28 Janvier 1968 a vivement frappé l'opinion par son caractère dramatique.
Le 1èr Février, les recherches étaient interrompues, tout espoir ayant
disparu de retrouver des survivants. Mais il était du plus haut intérêt
de localiser l'épave, en examiner les débris afin de déterminer les
causes du sinistre. Ces causes pouvaient avoir. de très grosses conséquences
sur la mise en service et la conception du matériel des sous-marins
du même type, qu'ils soient en service dans la Marine Française ou
en cours de construction ou d'armement pour des Marines Etrangères.
Des opérations ayant pour but cette localisation ont donc été menées
pendant l'année 1968 Elles se sont soldées par un échec puisque nous
ignorons toujours la position de l'épave, mais elles ont été très
riches en expérience de tous ordres qui justifient qu'on on expose
le déroulement et que l'on cherche à en tirer les enseignements.
Avant de pénétrer dans le vif du sujet, disons d'abord. un mot sur
la "MINERVE" elle même. Elle était le septième sous-marin du type
DAPHNE construit chez DUBIGEON à NANTES sur le budget 1957, mise sur
cale en 1961, lancée en mai 1961, admise définitivement au service
actif en Juin 1964 ; c'était un bâtiment de 700 tonnes Washington,
1 040 tonnes en plongée, ayant 58 mètres de long, 5 mètres 90 de large,
pouvant faire de l'ordre de 15 nœuds en plongée. Elle avait à bord
6 Officiers, 19 Officiers Mariniers 28 quartiers-maîtres et Matelots.
Sortie de grand carénage en 1967, elle était commandée par le Lieutenant
de Vaisseau FAUVE qui avait pris son commandement le 21 Janvier. Cet
Officier, sous-marinier confirmé, en était à son deuxième embarquement
sur sous-marin de ce type. La semaine du 22 au 27 Janvier avait été
consacrée au stage de mise en condition opérationnelle qui suit toujours
une prise de commandement de l'Officier entraînement de la 1ère Escadrille
de sous-marins avait débarqué aux VIGNETTES dans la nuit du 26 au
27, le stage ayant été pleinement satisfaisant.
Après
ce mouvement, le sous-marin avait fait route vers le Secteur T.65
situé au Sud du Cap SICIE ou il devait faire des exercices avec des
avions de la base aéronavale de NIMES-GARONS. C'est donc autour de
ce secteur que devaient se concentrer des recherches systématiques
et de longue haleine. Mais il était difficile de savoir s'il fallait
couvrir une zone plus grande que le secteur T.65 et de combien. Les
renseignements que l'on possédait le 1er février étaient assez maigres,
certains contradictoires. On peut les résumer de la façon suivante
:
- La disparition de la "MINERVE" a été reconnue quand elle n'est pas
rentrée au mouillage à TOULON après l'heure limite prévue à 21 heures
le 27. On savait simplement qu'un peu avant huit heures au matin elle
était en plongé au schnorchel approximativement dans son secteur et
les exercices avec aéronefs postérieurs à 8 heures avaient été annulés
en raison d'un très violent mistral. Il y avait tout lieu de croire
qu'elle était restée à la mer en exercices individuels comme ses ordres
l'y autorisaient. Le sinistre avait donc pu se produire a un moment
quelconque entre 8 heures et 21 heures aussi bien dans son secteur
qu'aux environs sur les routes menant de ce secteur à la côte et à
TOULON.
- Le sous-marin avait quitté la rade des VIGNETTES vers une heure
du matin, une erreur importante sur son estime l'écartant de son secteur
de plongée était donc très peu probable.
- il
y avait très peu de chances pour que le Commandant soit sorti délibérément
et de façon importante du secteur qui lui était attribué, bien qu'un
samedi matin les secteurs voisins aient été libres.
- à
07h55, le 27 janvier, la liaison radiophonie entre la MINERVE et le
BREGUET ATLANTIC avec lequel elle travaillait était interrompue sans
raison apparente. Les dernières paroles échangées étaient les suivantes
:
L'avion : "Je compte annuler la calibration radar à 8 heures".
LA MINERVE : (voix d.'un officier) : "Je comprends que vous annulez
la calibration radar..Répondez".
L'avion : "Affirmatif"
L'avion ne peut plus ensuite reprendre le contact radio. Malgré l'absence
de signe de procédure marquant la fin de 1a liaison, cette interruption
n'avait qu'une valeur très relative étant donné 1'état de la mer,
le sous-marin étant au schnorchel. Elle était cependant la dernière
manifestation connue de LA MINERVE, donc un indice à ne pas négliger.
Au moment de cette perte de contact radio, l'ATLANTIC situait le sous-marin
dans une position au dehors du Secteur T.65 et dans son sud-est.
- pendant les recherches antérieures au 1er février, des bâtiments
avaient aperçu une tache d'hydrocarbures assez importante au Nord
du secteur 65. Cette tache, d'après les témoins ( Premiers-Maitres
patrons des remorqueurs de la Direction du Port de TOULON), semblait
être produite par du gas-oil à l'odeur caractéristique remontant du
fond sous forme de grosses bulles.
- une enquête marée auprès des bâtiments de commerce. qui étaient
passés ce jour là au Sud de TOULON, et l'examen de leur coque par
plongeurs permettait d'exclure l'hypothèse de l'abordage comme très
improbable.
- en dehors de la tache d'hydrocarbures, i1 n'y avait eu aucune trace
en surface pouvant être identifiée comme provenant de 1a MINERVE.
Des débris avaient été ramassés lors des recherches antérieures au
1er février mais aucun n'était caractéristique, et beaucoup provenaient
probablement des bâtiments de commerce passant au Sud de TOULON.
La zone
couvrant des positions ou pouvait se trouver l'épave était donc étendue.
Elle englobait les secteur T.65 le secteur T.66 et leurs abords au
Sud et au Nord ainsi que toutes les routes allant de ces Secteurs
vers la côte et Toulon. Des renseignements extérieurs à la Marine
et inconnus pendant les recherches effectuées avant le 1er février
allaient cependant permettre de restreindre considérablement la zone
à explorer ou prescrite. Le dépouillement d'enregistrements effectués
par les stations sismologiques révélèrent en effet qu'à. 7 heures
59 minutes et 25 secondes, le 27 janvier, il s'était produit un phénomène
que l'on rapprocha de la disparition de la MINERVE .Une étude permit
de déterminer que ce phénomène correspondait à une explosion dont
la puissance était de l'ordre de grandeur de celle que produirait
à l'immersion de destruction d'un sous-marin type DAPHNE l'implosion
d'une bulle de 600 cubes de gaz à la pression atmosphérique. La localisation
qui pouvait on être déduite mettait le centre de la zone d'incertitude
très légèrement dans l'Est du Secteur T.65.
Des renseignements aussi troublants, rapprochés de l'heure à laquelle
les liaisons radio avaient été interrompues avec le BREGUET ATLANTIC
(7 heures 55) permettaient de fixer, avec une certitude très élevée
le moment du sinistre. Ceci. aurait pu restreindre le champ d'investigation
mais il restait à lever certaines discordances entre la position donnée
par l'aéronef et celle de la tâche d'huile par exemple. Pour cela
les mois d'avril et de mai ont été consacrés à des expériences diverses.
Une première série a cherché à déterminer ou pouvait se placer l'origine
des remontées d'huile. Cette série n'a d'ailleurs rien donné ca elle
aurait dû probablement être effectuée par fort mistral et ses effets
auraient alors été impossibles à observer.
Une
autre série a été effectuée pour chercher à améliorer la précision
de la position du point A (position donnée par les relevés
sismologiques ) en faisant exploser des grenades sous-marines très
puissantes.
La
position de l'aéronef était soumise elle aussi à une critique très
serrée et donnait lieu à une légère rectification. Elle restait cependant
assez incertaine. Pour la petite histoire, est-il bon d'ajouter que
parmi les nombreux renseignements fournis par les radiesthésistes,
un seul a semblé cohérent.
Dès
le 1er février cependant, l'Etat-major de la Marine entreprenait l'étude
des moyens qu'il serait nécessaire d'utiliser pour mener des recherches
poussées. Deux opérations menées par les américains donnèrent de précieux
renseignements. Notons que la première concernait la recherche du
sous-marin THRESHER disparu en avril 1963 près du rebord du plateau
continental au Sud de la NOUVELLE ECOSSE, par des fonds de l'ordre
de 1000 brasses. Cotte recherche avait donné lieu à deux campagnes,
une. de cinq mois en 1965 et une de trois mois en 1964. La première
campagne THRESHER avait immobilisé trois douzaines de navires et des
milliers d'hommes. La deuxième opération avait été la recherche sur
la côte espagnole de Méditerranée près de PALOMARES, d'une bombe nucléaire
tombée à 1a mer à la suite de la collision survenue le 17 Janvier
1966 entre un bombardier et son avion ravitailleur. Cette bombe avait
été récupérée 80 jours après l'accident par fond de 2850 pieds (soit
environ 870 mètres) sur le talus du plateau continental.
Dans
le même ordre d'idées, nous avons su récemment que le sous-marin nucléaire
SCORPION a été retrouvé par le navire spécialisé MISAR après qu'une
localisation par une chaîne d'écoute de fonds ait considérablement
restreint le champ des recherches mais nous n'avons pas encore de
renseignements précis sur cette opération.
Ces
deux opérations américaines du THRESHER et de PALOMARES montraient
que de telles recherches étaient très difficiles et demandaient d'énormes
moyens, dont certains étaient très spécialisés. La Marine Nationale
ne possédait évidemment que des moyens restreints, mais parmi ces
moyens il y en avait qui répondaient, au moins partiellement, aux
exigences de recherches par grands fonds en particulier le super-bathyscaphe
ARCHIMEDE.
Aussi
était-il décidé de mener deux campagnes successives, une première
en 1968 avec les moyens en notre possession, une autre, éventuelle
en 1969, avec des moyens plus développés qu'il faudrait définir et
financer. Il s'agit ici de décrire la campagne 1968.