Cette
campagne 1968, baptise opération REMINER (Recherche MINERVE) a été
effectuée avec les moyens suivants :
a) les
moyens de la Mission Hydrographique de Dragage c'est à dire, le bâtiment
hydrographe "LA RECHERCHE (ex GUYANE) de 810 tonnes équipé d'un sondeur
EILAC, et de moyens de localisation précis grâce au système radioélectrique
TRIDENT.
b) les
moyens du Groupe des Bathyscaphes c'est à dire du MARCEL LE BIHAN
(ancien tender d'aviation allemand de 800 tonnes équipé d'une grue
de 13 tonnes et du bathyscaphe ARCHIMEDE de 65 tonnes).
L'ensemble
de l'opération est menée par le C.V. HOUOT, Commandant le Groupe des
Bathyscaphes avec l'IHC.2 PASQUAY, Chef de la Mission Hydrographique
de Dragage, sous la haute autorité de l'amiral Préfet Maritime de
la 3ème Région.
Cette
campagne s'est déroulée en deux phases. Dans un premier temps "LA
RECHERCHE" a effectué des sondages systématiques dans les Secteurs
65 et 66 et leurs abords immédiats vers le Sud et l'Est. Dans cette
zone les fonds sont de 2 000 à 2 500 mètres et sont apparemment assez
plats. La zone située au Nord du Secteur 65 a par contre dû être négligée
car elle se trouve sur le talus du plateau continental, où les fonts
sont extrêmement tourmentés, avec des falaises et des canyons sous-marins
qui forment en particulier les accores Est et Sud du Banc des BLAUQUIERES.
Une recherche par sondeur sur un tel fond ne pouvait donc révéler
la présence d'aucune épave. La zone considérée a été explorée par
lignes de sondes espacées de 50 Mètres, 100 mètres, 200 mètres suivant
les secteurs (secteur au 1/5000, 1/10000, 1/20.000). La marche normale
est celle qui est faite avec l'écartement 100 mètres, l'écartement
50 mètres ayant été utilisé par comparaison dans une zone restreinte.
L'écartement 200 mètres a été utilisé dans une zone plus étendue et
qui est en cours d.'extension pour couvrir le point donné par l'avion,
Partout dans cette zone, le fond est d'allure générale régulière.
Il est en grande partie recouvert d'une couche sédimentaire avec de
faibles accidents de relief (rochers, petites falaises). La qualité
de cette exploration a été strictement liée aux caractéristiques du
sondeur utilisé. Celui-ci (un sondeur allemand, ELAC sur 15 Kilocycles
avec une ouverture total de 24 degrés) permet théoriquement de décaler
des obstructions faisant saillie d'un mètre sur le fond, Dans la pratique
ce chiffre a dû être évalué a quatre ou cinq mètres, en raison des
pentes de légères vallées, et du fait que le sondeur, à chaque écho,
couvre sur le fond un secteur circulaire ayant un rayon de 120 mètres,
Dans ces conditions "LA RECHERCHE" a trouvé une quinzaine d'échos
pouvant ressembler à une épave. Elle a dû alors se livrer à un travail
de classement de ces échos en passant sur leur position à des routes
différentes, grâce à la précision de 10 mètres donné par le système
de navigation TRIDENT Le résultat de ce travail a été de classer deux
échos comme correspondant certainement à une obstruction, certains
autres étant classés comme seulement probable, les autres étant éliminés.
Cette
opération de classement est peut-être à l'origine de certains articles
de presse qui ont prétendu que la "MINERVE" a été retrouvée. Une telle
conclusion ne pouvait cependant être annoncée qu'après avoir formellement
identifié à la vue les obstructions ainsi repérée. C'est bien d'ailleurs
ce que devait démontrer la suite des opérations.
Ajoutons
que pour obtenir des précisions pareilles, sur la mesure du fond,
il était nécessaire d'avoir du beau temps. Le mois d'août 1968 a été
particulièrement défavorable. Dans la journée , il y avait un fort
mistral, La RECHERCHE devait appareiller de nuit dès que le vent faiblissait.
Un certain nombre de profils effectués dans des conditions de mer
estimées comme "limite" ont dû être repris ultérieurement.
Ce
n'est qu'après ce travail préliminaire qu'a pu commencer le deuxième
temps, celui de l'identification visuelle effectué par le bathyscaphe
ARCHIMEDE. Celui-ci a effectué sept investigations menées de la façon
suivante :
a) La
RECHERCHE conduit le "MARCEL LE BIHAN" à proximité de l'écho dont
il faut effectuer la reconnaissance, puis place ce bâtiment par rapport
à elle-même et exploite les renseignements en azimut-distance de l'ARCHIMEDE
donnés par le MARCEL LE BIHAN. Pour les deux dernières plongées cette
méthode assez lourde interrompant les travaux de sondage, un récepteur
TRIDENT prélevé sur un autre bâtiment de la MHD a été installé sur
le MARCEL LE BIHAN, en arrêtant quelques jours ses travaux.
b) L'ARCHIMEDE
prêt à plonger est remorqué par le MARCEL LE BIHAN en une position
telle que, compte tenu d'une légère dérive il puisse arriver à quelques
centaines de mètres de l'écho à explorer : ceci afin d'éviter que
le Bathyscaphe ne se pose sur l'épave.
c) L'ARCHIMEDE,
étant en liaison avec le MARCEL LE BIHAN par phonie ultrasonore, se
fait positionner par moyens également ultrasonores. Le MARCEL LE BIHAN
donne à l'ARCHIMEDE l'azimut et la distance de l'écho, L'ARCHIMEDE
se dirige, alors vers le point indiqué, rendant coopte de ses mouvements,
et se faisant placer à nouveau en cas de nécessité. Cette méthode
donne une incertitude totale de 300 mètres sur le positionnement de
l'ARCHIMEDE. Elle a cependant abouti à d'excellents résultats car
cette erreur est cohérente avec les moyens de détection propres de
l'ARCHIMEDE (un sonar panoramique STRAZZA). Celui-ci a donc pu arriver
à la vue des épaves, malgré la visibilité très limitée du hublot de
l'ARCHIMEDE et le fait que dans l'obscurité totale de ces profondeurs,
ses projecteurs pourtant très puissants ne permettent guère de voir
à plus d'une dizaine de mètres. Plusieurs fois d'ailleurs le guidage
a été inutile, l'ARCHIMEDE ayant eu l'écho de l'obstruction avant
d'arriver au fond.
C'est
alors la partie la plus spectaculaire de l'opération. La première
plongée de l'ARCHIMEDE à lieu le 17 Septembre par fond de 2 300 mètres.
A 50 mètres du fond, il obtient un écho à 600 yards sur le sonar STRAZZA,
Il s'approche lentement de cet écho et le voit se dédoubler, un écho
paraissant avoir 90 mètres de long, l'autre 30 mètres, Il détecte
aussi de nombreux petits échos sur une centaine de mètres deux échos
principaux. A une dizaine de mètres se l'écho le plus petit les passagers
de l'ARCHIMEDE aperçoivent par le hublot un amas de cornières et de
tôles tordues. Entre les deux épaves le sol est jonché de débris métalliques
informes. A proximité de l'épave la plus importante, l'ARCHIMEDE aperçoit
une paroi presque verticale qu'il accoste et sur laquelle il glisse
et rague, cette coque étant revêtue d'une faune très dense.
Il distingue
alors un hublot puis deux autres et ce qui semble être un garde-hélice
Il se rend alors à l'évidence, cette épave n'est pas celle de la MINERVE,
mais celle, ancienne d'un bâtiment inconnu. Au retour en surface,
on constate des traces de ragage sur le plexiglas bâbord de l'encorbellement
des projecteurs, avec des traînées apparentes d'une peinture probablement
blanche.
Le 20
septembre, l'ARCHIMEDE plonge sur un deuxième écho, Il obtient un
écho à 400 yards alors qu'il est encore à 150 mètres de fond, Il se
dirige sur cet écho sans se faire conduire par le MARCEL LE BIHAN,
à une centaine de mètres de l'écho, l'épave se dessine parfaitement
sur l'écran du sonar. Elle a 60 mètres de long. En se rapprochant
l'ARCHIMEDE voit une hélice tripale et un étambot de cargo, Il fait
le tour de l'épave qui est couverte d'animalcules non identifiés.
Il voit alors des filins et des câbles d'acier qui pendent le long
du bord comme s'ils provenaient de bossoirs. Il aperçoit également
des objets correspondant à des petite échos voisins, un cube métallique
de 2 mètres de côté qui pourrait être une petite passerelle et un
coffre métallique, C'est donc encore une déception Ce deuxième écho
investigué n'est pas la MlNERVE.
Cette
déception se répétera avec les autres échos qui se révélèrent à la
vue n'être que des accidents du fond, ce que le Commandant HOUOT appelle
le minirelief de cette plaine abyssale, petites falaises ou masses
rocheuses sortant de la couche sédimentaire. Au cours de ces plongées,
il est détecté et aperçu des objets de petites dimensions.
On peut
extraire du compte rendu du Commandant du Groupe des Bathyscaphes
le récit d'autres plongées. Moins faciles que celles dont nous avons
parlé jusqu'ici, car les objets recherchés étaient plus difficiles
à identifier.
4ème
plongée 8 octobre - OSCAR NEUF - profondeur 2 350 mètres
Le MARCEL
LE BIHAN laisse à l'ARCHIMEDE liberté de manœuvre pour aller explorer
deux échos proches qu'il lui a signalés à son arrivée sur le fond.
Le premier correspondant aux ailettes d'une roquette plantée dans
le sol, le deuxième est celui d'une masse rocheuse isolée de 3 mètres
de haut et de 5 mètres de diamètre a demi enfoncée dans le sédiment
comme si elle avait creusé une souille.
Un positionnement
effectué près de ce rocher indiqua à l'ARCHIMEDE qu'il se trouve dans
le 115 et à 1 000 mètres de OSCAR 9. A mi-parcours un bon écho métallique
l'incite à infléchir sa route vers le 240. Une deuxième roquette est
repérée, L'ARCHIMEDE fait ensuite route au 350 vers OSCAR 9 et estimant
avoir parcouru le chemin prescrit redemande un positionnement, OSCAR
9 lui est signalé dans le 035 à 700 mètres Ce trajet ayant été effectué
sans rien découvrir d'autre que de très petites variations de pente,
l'ARCHIMEDE explore un faible écho de relief d'une centaine de mètres
de longueur et situé dons le 150 à 300 mètres de la position estimée
de OSCAR 9 puis continue en direction du rocher isolé près duquel
il se fait à nouveau positionner. Le MARCEL LE BIHAN le trouve dans
le 090 à 1 000 mètres d'OSCAR 9 ce qui confirme l'estime. Après 600
mètres de parcours et sans avoir rien découvert de nouveau il est
obligé d'interrompre la plongée, les batteries étant déchargées.
5ème
plongée - 11 octobre - OSCAR 9
Estimant
que la région Ouest de l'écho OSCAR 9 n'a pas été explorée au cours
de la plongée du 8 Octobre, j'envoie à nouveau l'ARCHIMEDE sur cet
écho. (C'est le Commandant HOUOT qui parle)
Un premier
positionnement, place le bathyscaphe à 200 mètres d'OSCAR 9. Un deuxième
le situe peu après pratiquement sur la position d'OSCAR 9. L'ARCHIMEDE
pendant ce court déplacement n'a observé qu'une faible pente de 5
à 10º qui semble orientée au 160. Le MARCEL LE BIHAN lui donne alors
liberté de manœuvre, comme il était convenu à l'ouest d'OSCAR 9. Faisant
route au sud-ouest puis au Nord-Ouest il découvre 1 000 mètres plus
loin l'écho d'une falaise sédimentajre orientée au 290 et longue de
500 mètres. Il se fait positionner et se trouve dans le 260 et à 1
000 mètres de OSCAR 9. De là il se dirige successivement au nord-est
puis au sud-est afin de revenir vers OSCAR 9. C'est en ralliant ce
point par le Nord-Ouest qu'apparaît sur le scope du sonar un écho
de relief de 100 mètres de long orienté au 250. La pente faible et
progressive de ce relief n'a pas permis en début comme en fin de plongée
d'en apprécier la hauteur.
6ème
plongée - le 15 octobre - OSCAR 17 -
L'ARCHIMEDE
arrivé sur le fond est sur une butte ( pente 8º il se fait positionner.
Il est envoyé sur OSCAR 17 dont il est à 500 mètres dans le 307. L'ARCHIMEDE
en se rendant sur OSCAR 17 rencontre de nombreuses buttes (échos,
sonar, diffus et flous). La pente est telle qu'il arrive que l'avant
du pont roulant se plante dans la vase. Un écho métallique dans le
10 à 400 yards déroute l'ARCHIMEDE. Cet écho est un bidon du genre
fût d'huile de 200 litres.
Echec
donc, l'épave de la MINERVE n'a pas été retrouvée Nous ne pouvons
pas non plus assurer qu'elle ne se trouve pas dans la zone explorée.
Une campagne 1969 est donc nécessaire, et elle sera effectuée.
Pour
tenir compte des enseignements de 1968 pour cette nouvelle campagne
1969, il convient d'abord de remarquer que la partie identification
visuelle a très bien fonctionnée, Le système MARCEL LE BIHAN - ARCHIMEDE
positionné par le TRIDENT a rempli sa fonction et trouvé des objets
de très petites tailles. Il a donné des résultats supérieurs à ceux
que l'on pouvait espérer. Il sera donc à réutiliser intégralement
pour toute mission du même genre, l'expérience acquise permettant
des perfectionnements de détail.
La faible
mobilité du bathyscaphe rend cependant nécessaire un moyen d'exploration
systématique dont l'ARCHIMEDE exploite les contacts. C'est ce moyen
qui s'est révélé insuffisant en 1968. Les raisons de cette insuffisance
sont maintenant flagrantes depuis que l'on connaît mieux la nature
du fond, et ce minirelief relativement accidenté qui peut masquer
l'épave de la MINERVE à un sondeur de surface.
La campagne
1969 (Cette campagne commencera dès le mois de Mars) aura donc deux
temps :
D'abord,
on va continuer avec ce que l'on a. Dire que l'on ne peut assurer
que la MINERVE n'est pas dans la zone explorée ne permet pas de dire
qu'elle n'est pas non plus en dehors de cette zone. Nous sommes donc
tout naturellement conduits à étendre le champ de nos explorations
sur tous les indices. Si l'exploitation de la zone autour de la tacha
d'huile reste tout aussi difficile du fait du relief, la position
donnée par l'ATLANTIC reprend de la valeur. Dans les mois qui suivent
la RECHERCHE va donc couvrir au sondeur un cercle de 5 nautiques centré
sur la position déterminée par le BREGUET ATLANTIC. L'ARCHIMEDE va
faire des plongées sur des contacts qu'elle aura pu ainsi trouver.
Le deuxième
temps commencera quand nous aurons acquis des moyens nouveaux prenant
la place du sondeur de la RECHERCHE. Ces moyens nouveaux nous sont
indiqués par la documentation Américaine que nous possédons sur les
recherches du THRESHER et du SCORPION. Le procédé qui à été employé
dans les deux cas est basé sur l'emploi de magnéto-mètres qui signalent
la présence d'objets métalliques posés sur le fond. Ce procédé affranchit
des problèmes posés par le minirelief et permet d'éviter de faire
plonger le bathyscaphe sur des échos de falaise et de roche.
On arrive
ainsi à un poisson que l'on traîne au bout d'une remorque de 6 000
mètres de long et qui comporterait :
- deux magnéto-mètres permettant une mesure de distance en même temps
qu'une détection
- des sonars latéraux
- des sondeurs permettant de faire naviguer l'ensemble à une hauteur
constante au dessus du fond (une dizaine de mètres)
- des appareils photographiques déclenchés par les magnétomètres (avec
flash conjugués).
- un système de positionnement ultrasonore du poisson.
Ce dernier
système est rendu nécessaire par l'incertitude de position de ce poisson
par rapport à son remorqueur, étant donné la longueur de la remorque.
Si les
moyens financiers nécessaires ne peuvent être dégagés, on sera obligé
de se contenter d'une solution de pauvre, en essayant d'utiliser la
troïka du Commandant COUSTEAU avec un nombre très restreint de 'senseurs',
donc avec des chances réduites de succès. (En fait la décision vient
d'être prise d'acquérir deum systèmes TROIKA équipés chacun de deux
cameras photographiques et d'un flash. Le projet d'acquérir ultérieurement
un matériel plus élaboré n'est pas abandonné.)
En fait
et ceci sera ma conclusion, la Marine Nationale a constaté que le
problème des recherches par grands fonds posé par la MINERVE avait
une importance gui dépassait de beaucoup la détermination des causes
de la perte de la MINERVE. Tout en ayant une ferme volonté de déterminer
ces causes, l'analyse du problème montre que d'autres missions peuvent
nous être demandées dans ce domaine comme cela a été le cas pour la
Marine Américaine quant on lui a donné la mission de la recherche
de la bombe de PALOMARES. Tout récemment d'ailleurs le Secrétariat
Général de l'Aviation Civile nous a demandé notre concours pour rechercher
la CARAVELLE tombée au Sud de NICE par des fonds de 2 000 mètres environ.
Un monde
nouveau s'ouvre donc à la Marine dans son propre domaine d'action,
mais pour arriver à percer les secrets qu'il cache, tout un matériel,
toute une technique sont nécessaires. Cette première campagne 1968
nous aura permis dans ce domaine de franchir un grand pas et de déterminer
l'orientation qu'il nous faut prendre pour progresser, même si le
but direct n'a pu être atteint.