Le Monde
daté du mardi 1 juin 1999
:
Le sous-marin perdu d'Israël,
son épave retrouvée et sa dernière victime
Le sous-marin israélien
INS-Dakar comptait soixante-neuf hommes à bord lorsqu'il
sombra par une nuit de janvier 1968, en Méditerranée.
Vendredi 28 mai, quelques heures après avoir été
informé que l'épave du submersible disparu il y a trente
et un ans venait d'être repérée par 2 900 m
de fond, entre l'île de Chypre et la Crète, l'ancien
chef de la marine, l'amiral Michael Barkaï, s'est tiré
une balle dans la tête. L'officier se savait atteint d'un cancer
incurable et son frère cadet, Avraham, était le commandant
en second du Dakar. L'amiral Barkaï est aussitôt
devenu la soixante-dixième victime du naufrage. Presque oubliées,
les laborieuses négociations pour former le prochain gouvernement,
les petites phrases des vainqueurs, les récriminations des
vaincus et la vraie guerre qui a lieu là-bas, dans le Liban
sud : depuis vendredi, Israël communie dans le souvenir
de la plus grande catastrophe connue par sa marine de guerre.
Dans un pays où
le culte des morts est une forme supérieure de culture, personne,
à vrai dire, n'avait oublié. Construit par les Britanniques
en 1943, le Dakar, à l'époque baptisé
HMS-Totem, avait été racheté en 1965
par la marine israélienne en même temps que deux autres
sous-marins semblables. Totalement réaménagé,
doté des équipements les plus perfectionnés,
notamment en matière de détection radar, le bâtiment
avait quitté Portsmouth, en Grande-Bretagne, le 9 janvier
1968 pour rejoindre Haïfa, son nouveau port d'attache. Après
une brève escale à Gibraltar, le 15 janvier, il
avait mis le cap sur Israël, où il était attendu
le 29 janvier.
Le 24 janvier,
à 6 h 10, le navire envoya sa dernière position
connue ; durant les dix-huit heures suivantes, il envoya encore
trois messages de contrôle ; puis le 25 janvier, peu
après minuit, un dernier télégramme codé,
suivi d'un long silence. Les recherches furent lancées dès
le lendemain, avec l'aide des marines britannique, américaine,
grecque, turque et même libanaise. Le 6 février
1968, le ministre de la défense, Moshe Dayan, annonçait
le bâtiment disparu corps et biens tandis que le grand aumônier
militaire déclarait officiellement morts les soixante-neuf
officiers et hommes d'équipage.
Comment avait coulé
ce sous-marin presque neuf manoeuvré par l'un des meilleurs
équipages de la flotte ? Les hypothèses les plus
diverses coururent : accident de navigation, attaque ennemie
(égyptienne ou russe), éruption volcanique au fond de
l'océan dont aurait aussi été victime le sous-marin
français Minerve, disparu la même semaine au
large de Toulon. La découverte, un an plus tard, par un pêcheur
de Khan Younes, d'un flotteur du Dakar ne permit pas de trancher.
Depuis, les recherches n'avaient guère cessé, Israël
allant même jusqu'à lancer dans la presse internationale
une campagne offrant une récompense de 300 000 dollars
(1,8 million de francs) pour toute information permettant de
retrouver le bâtiment.
La découverte
du Dakar à près de 3 000 mètres
de profondeur rend extrêmement difficile, sinon improbable,
toute récupération. Mais, en rendant largement compte
des recherches et des moyens gigantesques investis au cours des ans
pour retrouver le bâtiment, les autorités militaires
n'ont voulu délivrer qu'un message, répété
jusqu'au dogme : Israël n'oublie jamais ses soldats. Morts
ou vivants.
Georges Marion correspondant
du Monde à JERUSALEM